L’ « ère » du temps l’ « ère » de rien ou s’en sortir sans sortir

C’est le 47e jour de confinement officiel. 47 étant un symbole à Pomona College, cela me semble le moment parfait pour publier un nouvel article sur nos vies confinées. Pourtant, les mots n’ont jamais été aussi difficiles à sortir que maintenant. “Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement” (Nicolas Boileau). Cette phrase qui m’accompagne depuis que j’ai commencé à écrire sérieusement pour mon mémoire n’a jamais été aussi juste. Je ne conçois rien. Les pages de mon carnet sont noircies de réflexions, de dates écrites en japonais, de phrases de gratitude journalières (une habitude que j’ai prise à l’automne dernier), de bilans hebdomadaires. Le tout est entrecoupé de listes, de recettes, de cours et d’étoiles. Je me relis avec beaucoup de tendresse : tant de légèreté, d’anecdotes rigolotes, de moments suspendus que je tente de graver tant bien que mal. Parfois, je relis la lutte, l’anxiété et l’incompréhension. Mais il y a toujours de la vie. Et après près d’un mois et demi de confinement, on se rend compte qu’il s’en passe, des choses ! A chaque fin de mois, je fais généralement le point sur ma vie : qu’est-ce que j’ai appris, accompli ? De quoi ai-je besoin pour la suite ? Je me rends compte que j’ai vécu deux fins de mois en confinement et… rien. Rien ne me vient à l’esprit. Ou alors si, une version de moi aimerait vous raconter à quel point tout est étrange et anormal et que ça ne va pas du tout. L’autre version, elle, trouve que tout est normal et habituel, et que ça va très bien. Ainsi, notre nouvelle normalité est bizarre. Notre bizarrerie est normale ?

Alina Baraz – Until I met you

(j’ai récemment découvert le terme « lo-fi aesthetic » et ça a été une révélation de poser des mots sur une atmosphère où tout est paisible, contemplatif, un brin vintage. En fait, je crois bien que je pourrais vivre dans un monde lo-fi en teintes de violet et de rose, en écoutant Alina Baraz en boucle.)

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Le 21 mars, je suis sortie une fois pour prendre l’air et marcher un peu… Puis je ne l’ai plus refait. J’ignorais alors qu’il y avait une limite d’un kilomètre à ne pas dépasser (c’était un peu juste…) et surtout il y avait tant de monde autour du parc des Buttes Chaumont que je n’étais plus très sûre qu’il y avait un confinement en cours. Bref, voilà la seule photo du « monde extérieur hostile » que vous verrez dans cet article.

Parfois, j’ai envie d’observer cette twilight zone pendant des heures comme un chat. Parfois, je ne comprends plus rien et je me demande de manière tout à fait candide pourquoi nous ne sortons pas. « Qu’est-ce qui m’empêche sérieusement d’aller courir toute nue dans la rue en hurlant ? » Mais la plupart du temps, je vis ce nouveau quotidien assez bien. Plutôt bien même. Pourtant, je suis partie à l’aventure, dans une nouvelle ville (Paris), un nouvel environnement (sans fruits à coque) avec un nouvel être humain (hello, Ryan !). Quitte à être déstabilisée dans mon quotidien, autant ne pas faire les choses qu’à moitié, n’est-ce pas ?

C’est d’ailleurs pour cette raison, entre autres, que j’ai avancé ma rentrée de plusieurs mois et que je me suis lancée dans une formation d’UX design que je préparais depuis quelques mois déjà. Alors que je me demandais quel sens j’allais bien pouvoir apporter à ma vie, ce que j’allais bien pouvoir offrir au monde, j’ai presque eu l’impression que toutes mes expériences passées et centres d’intérêt m’ont menée ici. J’apprends dans les cours, les discussions, les livres, les articles et les podcasts, j’ose de plus en plus partager mes processus de pensée et j’essaie quelque chose de nouveau chaque jour. En conclusion, je ne vois plus le temps passer, ce qui doit être un comble pour un confinement !

Nos semaines passent donc relativement vite. En journée, Ryan travaille à côté de moi, sur son immense bureau d’angle et son double-écran qui lui donnent l’air d’être un contrôleur aérien. Assis sur son ballon géant, ses collègues se demandent parfois pourquoi il « rebondit » pendant les appels en visioconférence. Nos conversations me permettent souvent de pousser les murs et je suis heureuse de savoir que nos esprits sont capables de créer des espaces sans limite pour s’exprimer, explorer et créer des plans.

En temps de confinement, créer est devenu salutaire. On entre dans une sorte de flow qui nous fait oublier le temps qui passe, nous absorbe tout en nous faisant nous sentir bien vivants et productifs. Chez nous, la création s’exprime pas mal à travers la cuisine. Les contraintes liées au confinement telles que la pénurie de certains ingrédients nous obligent à redoubler de créativité et nous arrivons à faire des repas de vrais moments de plaisir et de pause. Je dois avouer que ça ne change pas trop de mon quotidien d’avant, cependant, c’est amusant de devoir jongler avec de nouvelles règles et en faisant équipe chaque jour !

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« 1 » pour une semaine de confinement. On a décidé de fêter les semaines de confinement et pas qu’à moitié ! Première semaine avec une tarte à l’oignon et non pas un, mais deux crumbles ! (un chacun, quoi !)

C’est le moment de fêter une semaine de confinement officiel. Ryan met une bougie en forme de chiffre « 1 » sur le crumble. « J’espère qu’on n’aura pas à réutiliser le ‘1’ « . C’est triste et drôle à la fois. Quoiqu’il en soit, on instaure des rituels et de nouvelles habitudes et c’est agréable de finir par surfer sur les vagues, même en sachant pertinemment qu’au déconfinement, on devra recommencer. J’ai lu un article sur l’empathie et la résilience en temps d’épidémie mondiale et à l’intérieur, il y avait un schéma de Buzz Holling qui présente le « cycle de résilience » (« adaptative cycle »_ qui vient de cet article) et… j’ai clairement l’impression d’y voir le résumé de mon propre fonctionnement.

Le mardi, on souffle des bougies et on fait des voeux; le samedi soir, on mange du fromage fondu. Heureusement, on fait aussi un peu de sport et généralement, il y a une soirée dansante (virtuelle) avec de chouettes DJs et des ami.e.s danseur.se.s à retrouver (toujours via écrans interposés) pour digérer.

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Des gâteaux au chocolat dont la recette vient de La Cuisine de Monica (un blog avec une histoire adorable de cuisine de grand-mère où on ne compte pas les calories _ découvert par Ariane, évidemment). Ryan ne mange pas de chocolat (un Suisse qui n’aime pas le chocolat, c’est une vraie arnaque) mais il était hors de question que je sois confinée ET privée de chocolat. Ma soeur venait de faire un gâteau au chocolat, les voisins nous narguaient avec une odeur de chocolat émanant de leurs fenêtres donc je n’ai pas résisté.

 

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Quand on ne cuisine pas ou qu’on ne travaille pas, c’est-à-dire très rarement, on jardine ! On rempote des plantes, on plante des tomates, de la bourrage et du basilic et on leur parle régulièrement. Voir les plantes pousser nous fait prendre conscience du temps qui passe, ce qui n’est ni une bonne, ni une mauvaise chose.
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Les premières semaines à Paris ont été incroyablement chaudes pour la saison. On a eu quelques minutes de pluie, trois coups de tonnerre, mais autrement, il est même devenu difficile de déjeuner dehors à 13 heures car le soleil tape trop fort. Ryan entretient son bronzage « télétravail » sur le toit.
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Un soir, j’ai discuté avec Andréa pour lui raconter à quel point mon chat me manquait (nos conversations sont passionnantes). En même temps, je continuais à m’organiser, à réfléchir tout haut et me demandai si j’avais assez commandé suffisamment de croquettes (passionnant, hein !). Au moment où je dis « croquettes », une énorme boule de poils noirs passe par la fenêtre, saute dans le salon et se faufile dans les escaliers. « Euh, je crois qu’un chat vient de rentrer dans la maison ». Ma soeur se moque de moi : « ton chat te manque tellement que tu hallucines ». Je partage donc mon hallucination en vous présentant Croquette, qui vient régulièrement traverser la maison pour rejoindre la rue ou les toits.

La créativité en temps de confinement est vraiment magique. On redécouvre son âme d’enfant et on donne vie à des idées avec trois fois rien. Je vous avoue que je regrette juste de ne pas avoir de legos maintenant, et en même temps, c’est peut-être mieux pour continuer à étudier correctement. Ainsi, on crée des spectacles de chaussettes pour les ami.e.s et quand Ryan dit qu’on amène le « désert » au lieu du « dessert », on s’adapte et on devient des explorateur.rice.s du monde mystérieux qu’est le salon.

On a beau être enfermés, la liaison avec l’étranger a toujours lieu ! J’aime beaucoup les captures d’écrans (à la volée) de nos conversations avec Ariane et Grete. C’est un joyeux bazar… comme toujours, mais j’aime savoir que dans nos vies bousculées, il y a des racines et des noyaux durs et plein de vie auxquels on peut se raccrocher.

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Sur Zoom, on participe à des soirées dansantes virtuelles et on retrouve avec plaisir plusieurs visages familiers.

Les moments de socialisation sont devenus originaux. On organise des soirées et quand certain.e.s ne se connaissent pas, on fait les présentations via écrans interposés. Mais ça marche quand même !

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Avec Skribbl, le Pictionary entre ami.e.s est (re)devenu très drôle. (vous avez la réponse ?)
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Eh oui ! J’ai fêté mon anniversaire en confinement… et c’était parfait ! Il y avait même de la tarte au citron meringuée (et je n’ai même pas pris le temps d’enlever mon tablier !).

Dire qu’avant le confinement, je m’étais imaginée organiser une sortie dans un escape game. Aujourd’hui, je penche plus sur le pique-nique dans un grand parc ou un session d’accro-branche. L’escape game du confinement n’est pas drôle : la clé de la sortie tient en une attestation et au lieu d’avoir une heure pour sortir, on a une heure pour rentrer.

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Tête chiffonnée le matin après une nuit agitée pour chacun (et sans se concerter !). Certaines fois un peu bizarres, on a tous les deux mal dormi dans la même nuit. Le matin, on se fait alors un petit-déjeuner (ce qu’on ne fait pas habituellement) et on mange du fromage, juste parce que tout passe mieux avec du fromage. Même un confinement.

5 commentaires sur “L’ « ère » du temps l’ « ère » de rien ou s’en sortir sans sortir

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  1. Coucou,
    Vous avez vraiment l’air de bien vous occupez et vous amusez ahah! En tout cas, toutes ces recettes et plats me donnent envie d’aller cuisiner. Pour ma part, je suis sortie 2 fois pour courir à 8 heures à peine et au final juste sortir deux fois m’a permis de prendre l’air pour le reste du confinement! J’ai un peu culpabilisé au début mais bon c’est comme ça…Par contre l’idée des anniversaires de confinement c’est génial haha!
    Belle journée à toi,
    Camille 🙂

    Aimé par 1 personne

    1. S’aérer, c’est important pour sa santé mentale donc il faut le faire si on en ressent le besoin ! A Paris, c’est juste un peu compliqué car les gens ne respectent pas trop les règles… Je vois que tu es aussi une voyageuse ‘en pause’ donc j’espère que ton confinement se passe bien ^_^

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  2. C’est chouette de lire un article comme ça, plein de vie, de gaieté et de réflexions plus profondes… La vrai vie quoi ! Surtout celle en temps de confinement, propice à l’introspection et la remise en question… Bizarrement (ou pas finalement) j’aime apprécié ce temps de pause. Le fait surtout, d’arrêter de courir après le temps. Je me rends compte que c’est vraiment ce dont j’ai besoin : respecter le rythme naturel de mon corps. Cela paraît si simple, et pourtant tellement difficile à mettre en place avec les multiples exigences du monde actuel… Mon déconfinement sera donc sous le signe d’une réorganisation de mon travail et d’une transition vers un style de vie qui me permettra d’être totalement en accord avec moi-même… 🙂

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