J’ai retrouvé le décor familier de Pomona College, j’en redécouvre certains aspects, j’accueille avec enthousiasme les nouveautés. C’est une rentrée bien différente de la précédente : sans avoir l’impression d’arriver en terrain conquis, je me rends compte que j’ai toutefois réussi à m’affirmer un peu plus et à me sentir encore plus libre d’être moi-même. Un vent frais souffle sur le campus, un petit quelque chose qui indique que même si les temps s’assombrissent, éclipse ou pas, on continuera de briller. Avec des guirlandes lumineuses, avec le soleil, avec des paillettes.
Avec Starlight de Muse, car c’est le morceau qui passait à 10h21 lorsque l’éclipse était à son apogée.
Vendredi 11 Août 2017, 20h, dans le train entre Los Angeles et Claremont.
C’est une étrange sensation de familiarité qui m’assaille lorsque je m’installe dans la navette m’emmenant à Union Station. Le coucher de soleil californien si caractéristique, les routes démesurées, les palmiers. Je ne réalise pas tout à fait la distance parcourue. Les voyages en avion s’effectuent désormais dans un état second et les distances se comptent plus en heures qu’en kilomètres. En une vingtaine d’heures, on m’a installé un nouveau décor. Ou on a replanté un ancien décor. J’attends le train sous le ciel indigo. Rien de très surprenant et c’est justement la sensation de déjà-vu, déjà-vécu qui semble irréelle.
Choc culturel, acculturation, la seconde et dernière année qui m’attend en tant que Oldenborg French language resident a déjà une saveur différente. Je ne dirai que je me sens « chez moi », car l’expression me paraît un peu forte, cependant, j’ai suffisamment de repères pour m’assurer une certaine stabilité. Et je ne suis pas chez moi. Enfin, mon corps tangue encore sous l’effet des nombreuses turbulences qui ont ponctué ce voyage. Oh et un de mes étudiants de la table de français vient de faire son apparition dans le train avec sa grosse valise… Il semblerait que la rentrée ait déjà commencé !



Lundi 21 Août 2017, c’est le jour de l’éclipse, la deuxième de ma vie. Partielle à soixante pour cent.
Biscuits en forme d’étoiles et de lune, des barres de chocolat « Milky Way », une paire de lunettes adaptée offerte par Adan. Nous sommes armés pour la grande fête qui a lieu dans le département d’Astronomie à Milikan. On attend patiemment 10h21 en discutant, testant les dispositifs, mangeant, buveant, festoyant. On admire nos ombres déformées, on se concentre pour appréhender la baisse de luminosité ambiante. Je m’arrête et observe les gens autour de moi : c’est un pouvoir étrange d’être capable de sortir d’une scène dans laquelle on se trouvait quelques secondes auparavant, d’entendre les sons comme une sorte de bourdonnement, et de figer le temps juste pour goûter l’harmonie du moment.
« On n’a pas tout le temps la chance de démarrer l’année académique avec un tel événement ! », entends-je dans un des discours. Une nouvelle équipe, une nouvelle présidente, une éclipse. Ma mémoire pose un drapeau blanc sur ce qui est désormais un souvenir : « Pomona College, deux ans de la vie de Marina, une éclipse en 2017 ».

L’éclipse, en nous faisant lever la tête vers le ciel, nous remet aussi un peu les pieds sur Terre. Dans une époque rythmée par les « fait alternatifs » (alternative facts), se réunir pour observer un tel événement est un moyen de promouvoir la pensée scientifique. D’un point de vue plus spirituel, c’est tout aussi important de se reconnecter avec le présent, la nature, en commençant par lever les yeux de son smartphone et ce, vers le ciel…
Cependant, tout le monde ne voit pas l’éclipse d’un bon oeil. En rentrant à Oldenborg, je croise Lamar, la femme de ménage qui s’occupe de mon appartement. Elle me dit avoir coupé son téléphone à cause des « radiations » et s’est jurée de rester à l’intérieur toute la matinée. Avec douceur, je l’emmène à l’extérieur en lui prêtant ma paire de lunettes spéciale : « mais tu n’as plus de lunettes, comment peux-tu aller dehors ?! ». Je suis contente qu’elle ait pu constater que ce n’était pas dangereux et qu’elle ait pu regarder l’éclipse en face. Pourtant, l’expérience m’a aussi un peu chamboulée…

Qui dit rentrée, dit aussi réception présidentielle avec la nouvelle présidente de Pomona College. Nouvelle présidente, nouvelle vision, nouveaux objectifs, nouvelle politique. Le cabinet présidentiel est venu nous rendre visite pendant nos premiers jours de formation. A la fin, nous étions revigorés, encore plus enthousiastes, et avec un livre sous le bras : You can do anything, The suprising power of a « useless » liberal arts education (2017) de George Anders. Au moment où j’écris, je n’ai lu que le premier quart du livre, cependant, le discours, tout à fait réaliste, est à l’image véhiculée par la présidente. Il m’a vraiment permis de mieux comprendre la logique de mon propre parcours et de me mettre dans l’optique de promouvoir d’une nouvelle manière mes compétences afin de les faire valoir dans le monde d’aujourd’hui. Entrer dans les détails ne fait pas partie du but de cet article, pourtant j’aurais encore beaucoup à ajouter…


